ENTOMOLOGIE FORENSIQUE

EN SUISSE

Claude Wyss & Daniel Cherix


Validite des escouades selon Mégnin

Pour commencer, il est important de revenir sur les escouades décrites par Mégnin et de comparer ses données avec les nôtres. Le tableau de Mégnin revu par Leclercq, indique huit escouades se succédant au cours du temps, du 1e jour à trois ans environ. Chaque escouade est caractérisée par la présence de plusieurs espèces de Diptères et Coléoptères principalement. Or, si l’on résume l’ensemble de nos données concernant les Diptères, nous constatons qu’il n’est pas possible de déceler la présence d’escouades, telles que décrites par Mégnin et d’autres auteurs (Leclercq, 1978 ; Smith, 1973).

 

Tableau 1. Les huit escouades d’insectes nécrophages selon Mégnin (1894), revu par Leclercq (1978).

1e escouade
Celle-ci apparaît immédiatement après la mort sur le cadavre frais.

Elle est représentée par des Diptères Calliphoridae et Muscidae.
Calliphora vicina,
Calliphora vomitaria,
Lucilia spp
Musca domestica,
Muscina prolapsa,
Muscina assimilis,
Muscina stabulans

2e escouade
Elle apparaît dès que l'odeur cadavérique se fait sentir, soit entre 48 et 72 heures.

Ce sont principalement des Diptères Sarcophagidae et Calliphoridae.
Sarcophaga argyrostoma,
Sarcophaga spp
Lucilia sericata,
Lucilia caesar,
Lucilia illustris,
Cynomya mortuorum

3e escouade
Celle-ci colonise le cadavre au moment du rancissement des graisses qui dégagent des acides gras volatils, dont l'acide butyrique caractérisé par sa mauvaise odeur. Elle est présente sur le cadavre de 3 à 6 mois.

Cette escouade comprend des insectes friands des substances grasses.
Dermestes lardarius, Coléoptères
Dermestes maculatus,
Aglossa spp Lépidoptères

4e escouade
Peu de temps après la fermentation butyrique des matières grasses, se produit la fermentation des matières protéiques. Nous sommes au stade de l'évaporation des liquides sanieux (pus) qui aboutit à un reliquat. Elle est présente de 4 à 8 mois.

Piophila casei,
Drosophila funebris,
Fannia manicata,
Fannia scalaris,
Necrobia violacea,

5e escouade
Elle colonise le cadavre au stade de la fermentation ammoniacale. Elle est présente de 5 à 9 mois.

Ophyra capensis, Muscidae
Ophyra leucostoma, Muscidae

Pendant l'évaporation des liquides sanieux (pus)

Megaselia rufipes, Phoridae
Necrophorus humator, Silphidae
Hister unicolor, Histeridae
Omosita depressa, Nitidulidae
Omosita discoidea, Nitidulidae

6e escouade
Elle achève d'absorber toutes les humeurs dont le cadavre reste imprégné et contribue largement à leur dessiccation. Elle est présente de 5 à 10 mois.

Ce sont essentiellement des acariens.

7e escouade
Elle apparaît lorsque le cadavre est complètement desséché, soit à partir de 8 mois.

Attagenus pellio, Dermestes
Anthrenus verbaci, Dermestes

8e escouade
Lorsque la mort est très ancienne, soit dès la première année.

Ptinus brunneus, Ptinidae
Tenebrio obscurus, Tenebrionidae

 

Nous relevons que les principales espèces de Calliphoridae nécrophages sont présentes dès le premier jour, lorsque nous travaillons avec un cadavre en été (Pigs2003). Il s’agit dans ce cas de 3 espèces de Lucilia, Calliphora vicina n’arrivant que le lendemain ; les autres espèces (Ch. albiceps, Ph. regina et P. terranovae) arrivent elles entre deux et quatre jours après les premières. Mais si l’on regarde les espèces de Diptères capturées le premier jour (tableau 2), nous remarquons la présence d’espèces comme Hydrotaea ignava, Fannia canicularis et autres, qui sont citées comme faisant partie de la 5e escouade de Mégnin. Les espèces du genre Calliphora sont d’une manière générale moins thermophiles que les Lucilia, et souvent peu abondantes en été, comme par exemple C. vomitoria, n’apparaissent qu’à partir du 23e jour. Mais il faut remarquer que la majorité de ces espèces sont présentes au-delà du 40e jour.

Cette situation se retrouve à la fin du printemps (Pig97) avec de petites différences. On rencontre Hydrotaea ignava et H. similis dès le 3e jour. Un cadavre déposé à la même époque en mai 99 (Pig99), mais en forêt et à une altitude plus élevée que pig97, montre les mêmes caractéristiques, mais présente moins d’espèces. Relevons aussi la présence de plusieurs espèces de Fannia et d’Hydrotaea dès le premier jour. En revanche, un cadavre déposé au début du printemps (Pig2005) présente des différences plus marquées sur l’arrivée des espèces. Dans ce cas, seules C. vicina et C. vomitoria sont présentes dès les premiers jours, alors que les Lucilia n’arriveront qu’à partir du 36e jour. Cela s’explique par le rythme saisonnier de ces espèces thermophiles. Ceci se vérifie aussi avec Pigs2002, posés le 1e mai, où les Lucilia n’apparaissent que lorsque les températures sont suffisantes pour leur permettre de voler. Elles arrivent 3 jours après les Calliphora, qui elles, ne sont venues sur les substrats que le 6e jour, les cinq premiers jours étant pluvieux et froids. Mais le plus intéressant est le cas de Pig99bis, déposé à la fin du mois d’octobre, colonisé immédiatement par C. vomitoria et par L. caesar, puis à nouveau colonisé après 5 mois par C. vicina et C. vomitoria, les Lucilia arrivant une nouvelle fois un mois après les Calliphora.

Nos expériences réalisées à différentes saisons nous permettent d’affirmer que les premières escouades de Mégnin ne correspondent pas à nos données et qu’elles ne peuvent pas apporter des indications valables dans l’établissement de l’IPM. Il serait donc très risqué, en se basant uniquement sur les données de Mégnin, de dater un cadavre de plusieurs mois.

 

Tableau 2. Espèces de Diptères rencontrées les 5 premiers jours sur les cochons lors des six expérimentations, (en gras, les espèces appartenant à d’autres escouades).

Expérimentations

Jours

Espèces

Pig 1997 (Mai)

1

Calliphora vicina

Lucilia caesar

Lucilia illustris

Musca domestica

Timarcha tenebricosa

 

2

Calliphora vicina

Calliphora vomitoria

Lucilia caesar

Lucilia illustris

Musca domestica

Ophyra leucostoma

Sarcophaga

 

3

 Lucilia illustris

 

4

Calliphora vomitoria

Hydrotaea similis

Hydrotaea dentipes

Lucilia ampullacea

Lucilia caesar

Lucilia sericata

Ophyra leucostoma

Phaonia populi

 

5

Calliphora vicina
Lucilia caesar
Ophyra leucostoma
Fannia

Pig1999 (Mai)

1

Calliphora vicina

Calliphora vomitoria

Fannia armata

Hydrotaea meteorica

Lucilia caesar

 

2

Calliphora vomitoria

Hydrotaea meteorica

Lucilia caesar

 

3

Calliphora vicina

Calliphora vomitoria

 

4

Anthomyia

 

Azelia

 

Calliphora vicina

 

Calliphora vomitoria

 

Catops picipes

 

Hydrotaea dentipes

 

Liopiophila varipes

 

Parapiophila vulgaris

 

Phaonia subventa

 

 

5

Calliphora vicina
Calliphora vomitoria

Pig 1999bis (Octobre)

1

Calliphora vomitoria

Musca

 

2

---

 

3

---

 

4

Calliphora vomitoria

Lucilia caesar

 

5

---

Pigs 2002 (Mai)

1

 Conicera spp

 

2

Conicera spp

 

3

 Conicera spp

 

4

Conicera spp

Nematocera (Platyura marginata)

 

5

Calliphora vicina
Calliphora vomitoria

Pig 2003 (Août)

1

Fannia cannicularis
Hydrotaea ignava
Hydrotaea irritans
Lucilia ampullacea
Lucilia caesar
Lucilia illustris
Lucilia sericata
Musca autumnalis
Musca domestica
Sarcophaga argyrostoma

 

2

Calliphora vicina

Coenosia tigrina

Graphomya maculata

Hydrotaea capensis

Hydrotaea irritans

Lucilia ampullacea

Lucilia caesar

Lucilia illustris

Lucilia sericata

Musca domestica

Musca sp

Muscina assimilis

Myospila meditabunda

Sarcophaga sp

 

3

Chrysomya albiceps

Hydrotaea ignava

Lucilia ampullacea

Lucilia caesar

Lucilia illustris

Lucilia sericata

Muscina assimilis

Phormia regina

Sarcophaga sp

 

4

Chrysomya albiceps
Graphomya maculata
Hydrotaea ignava
Lucilia ampullacea
Lucilia caesar
Lucilia illustris
Lucilia sericata
Musca domestica
Phormia regina
Pollenia rudensis
Protophormia terranovae
Sarcophaga sp

 

5

Hydrotaea dentipes
Hydrotaea ignava
Hydrotaea sp
Lucilia ampullacea
Lucilia caesar
Lucilia illustris
Lucilia sericata
Musca domestica
Phormia regina
Protophormia terranovae

Pigs 2005 (Mars)

1

 Conicera spp

 

2

Calliphora vicina

Coenosia tigrina

Musca domestica

Pollenia rudensis

Sepsis sp

 

3

Conicera spp

Parapiophila vulgaris

 

4

Calliphora vomitaria

Conicera spp

Parapiophila vulgaris

Pollenia rudensis

 

5

Calliphora vicina

Calliphora vomitaria

Muscina sp

Parapiophila vulgaris

Pollenia rudensis

 

 

Nous pouvons affirmer que, lorsque les conditions météorologiques sont favorables (absence de pluie et températures permettant le vol des individus adultes), les mouches nécrophages, dont le cycle de développement est connu, sont présentes dans l’heure qui suit la mort et pondent peu après. Nous avons aussi pu montrer qu’un cadavre, ayant passé l’hiver dans la nature, est colonisé au printemps par les mêmes espèces qui colonisent un cadavre frais. En fonction des saisons, nous constatons des différences sur la diversité des mouches nécrophages. Ainsi les Lucilia sont présentes et actives du printemps à l’automne, alors que les Calliphora se rencontrent toute l’année. Ch. albiceps, Ph. regina et P. terranovae ne s’observent généralement qu’en été, avec quelques exceptions au printemps et en automne. Ainsi, dans notre région, le nombre d’espèces utilisables pour le calcul de l’intervalle post mortem se limite aux 8 espèces suivantes :

C. vicina, C. vomitoria, L. sericata, L. caesar, L. illustris, Ch. albiceps, Ph. regina et P. terranovae.

Les autres espèces comme Calliphora loewi, C. subalpina, L. ampullacea, L. silvarum et Cy. mortuorum sont trop peu abondantes et présentes de manière aléatoire sur les cadavres.

De plus, nous constatons quelques différences dans la séquence d’arrivée des espèces du genre Calliphora et Lucilia. On peut se demander si l’état de fraîcheur du cadavre n’influence pas la présence d’une espèce plutôt qu’une autre. C’est la raison pour laquelle nous entreprenons une expérience (Von Aesch et al. 2003) au cours de laquelle nous comparons la capture des Calliphoridae dans des pièges « Upton » contenant du foie à différents états de fraîcheur. Les relevés météorologiques de la station la plus proche sont également pris en compte (température moyenne journalière et radiations). Ces expériences sont menées d’avril à mai sur le campus de l’Université de Lausanne. 9 pièges distants de 50 mètres sont placés dans une prairie. Pour chaque expérience, trois trappes contiennent du foie frais, trois du foie âgé de 2 jours et 3 du foie âgé de 4 jours. Neuf jours de piégeages sont réalisés et permettent la capture de 451 Calliphoridae et 41 Sarcophagidae.

Les Calliphoridae sont représentées par 7 espèces : L. silvarum est l’espèce dominante, C. vicina, L. sericata et L. illustris sont relativement abondantes, alors que Cy. mortuorum et C. vomitoria sont peu représentées.

Ces données apportent la confirmation que la pluie limite l’activité des mouches. D’autre part, les analyses statistiques montrent que l’activité des espèces dépend directement des radiations et de la température. De plus, on remarque que plus de la moitié des mouches sont attirées par les pièges contenant du foie âgé de 4 jours, seules L. sericata et L. illustris semblent indifférentes. Néanmoins, nous obtenons toujours quelques individus de toutes les espèces dans les pièges contenant du foie frais. Ces résultats peuvent apporter quelques informations complétant nos expériences sur les cochons. Tout d’abord, la présence de la majorité des espèces de mouches nécrophages sur du foie frais. Deuxièmement, lorsque ces mouches ont le choix entre un substrat frais et un substrat altéré, elles vont en plus grand nombre sur ce dernier. Enfin, si la pluie limite clairement l’activité des mouches nécrophages, les radiations (quantité de chaleur par mètre carré) sont un facteur aussi important, si ce n’est plus que la température moyenne journalière et influencent en grande partie l’activité de vol. Toutefois, nous pouvons utiliser la température moyenne journalière comme indice d’activité des mouches nécrophages, sous réserve de leur phénologie.

Homepage
Page précédente